mars 2024

Revue Délibérée - couverture du numéro

Édito

Procureur·e, entends-tu ?

Le 2 octobre 2018, le député Alain David interpellait ainsi le Premier ministre :

« Entre l’audition incongrue des candidats au poste de procureur général de Paris et les tentatives d’intervention de l’exécutif sur ce processus de nomination, il semble que le Président ait tenté de s’immiscer dans le choix de ce magistrat ».

Édouard Philippe répondait :

« j’assume parfaitement le fait de rencontrer des candidats et d’être certain que celui qui sera proposé à la nomination et à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature sera parfaitement en ligne avec le Gouvernement...(...) et que je serai parfaitement à l’aise avec ce procureur »[1].

Certes, la Constitution permet une telle immixtion de l’exécutif dans la nomination des procureur·es. Cependant, la dépendance au pouvoir politique de celles et ceux dont la tâche est, dans les affaires du quotidien comme dans celles plus exceptionnelles, de décider qui devra être poursuivi en justice et comment, n’en est pas moins problématique dans une société démocratique a fortiori dans un contexte de remise en cause croissante des libertés publiques.

Clémence ou sévérité selon que vous serez puissant·e ou misérable, déférente connivence à l’égard du pouvoir politique ou à l’inverse, passions inquisitrices vis-à-vis de celui-ci, gardien·ne de l’ordre en vigueur… Accusateur public, avocat·e de la loi, le·la parquetier·ère concentre les critiques de tous bords. Il semblerait qu’avocat·es, justiciables, administration, politiques, syndicats, juges du siège, et même ancien·nes parquetier·ères puissent presque faire alliance contre le ministère public. Les citoyen·nes, pour leur part, connaissent les procureur·es par la voie spectaculaire du réquisitoire prononcé à l’audience ou celle de la conférence de presse lors d’une affaire médiatique ; plus rarement par celles des permanences téléphoniques, des débats internes sur l’opportunité de tel type de poursuites, des réunions partenariales avec les acteurs et actrices des politiques de la ville.

Comment dès lors, aborder le controversé thème du Parquet ? Celui-ci, certes « un et indivisible», abrite à l’évidence une importante diversité de points de vue et de vécus professionnels. Or, l’exploration de cette pluralité ouvre un champ de questionnements complexes : dans quelle mesure son juste fonctionnement est-il garanti par sa structure et son organisation institutionnelle, ou au contraire à quel point celui-ci est-il dépendant de l’éthique personnelle des membres qui le composent ?

Les questions relatives aux pistes de réforme statutaire – lien hiérarchique, unité du corps judiciaire – sont pour le moins arides. Pour autant, elles ont un impact direct sur les équilibres démocratiques ainsi que sur les justiciables – traitement des violences commises par des forces de l’ordre, des infractions financières ou des mouvements sociaux notamment... De même, lorsque le parquet intervient dans d’autres sphères que la matière pénale – état des personnes, famille – à qui appartient cet « ordre public » qu’il défend ? Car « derrière l’apparence technique de notre débat se cache (...) un problème politique. C’est ce qu’il faut sans cesse garder à l’esprit»[2]. Face à l’extension constante de ses prérogatives « quasi-juridictionnelles », quel type d’indépendance statutaire siérait à son exercice dans un État de droit ? Ou bien faudrait-il au contraire, réduire ses pouvoirs compte tenu de sa faible indépendance ?

Loin de considérer que la résolution de ces questions parachèverait l’indépendance et par souci de mettre en mesure les lecteur·ices de se forger leur opinion, Délibérée, qui par essence porte un regard critique sur cette institution, a ici donné à des membres du parquet un espace de parole et d’analyse sur la situation actuelle[3]. Nous avons ainsi exploré plusieurs champs qui reviennent régulièrement dans les débats. Celui de l’histoire et de la légitimité de la politique pénale ; celui du quotidien parquetier à l’heure du démantèlement des espaces de délibération internes et du poids du management. Enfin, celui de « la culture parquetière » : de quoi est-elle faite, combien pèse-t-elle, faut-il penser sa transformation ?

Quoi qu’il en soit des réformes souhaitées, s’il incombe aux procureur·es d’articuler des politiques publiques à des situations individuelles, ils et elles semblent aussi chargé·es de donner une direction à la fabrique de la justice, de représenter un certain ordre public et social défini dans une promiscuité de fait avec le pouvoir exécutif. Puissent-ils et elles aussi mettre en scène — et de façon tout aussi spectaculaire — la justice sociale, l’égalité devant la loi, et la défense de l’intérêt général.

  1. Questions au gouvernement n°1193 : https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-1193QG.htm
  2. Réponse de Mireille Delmas Marty aux observations formulées lors de la séance du 25 mai 2009 de l’Académie des sciences morales et politiques.
  3. Dans la continuité de « L’audition libre » de François Molins « Une parole rare est une parole respectée » parue dans Délibérée n°4 de juin 2018.
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