« Depuis plus de cinquante ans, les gouvernements français successifs auront mené des politiques de lutte contre les drogues parmi les plus répressives d'Europe occidentale. Le résultat est un échec difficile à contester ».
Ainsi s'exprimaient le 26 août 2017, dans les colonnes du journal Le Monde, trois anciens chefs d'État étrangers et un ex-directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme[1]
, avant d'exposer les détails de cette faillite hexagonale – à commencer par la détention du record de consommation de cannabis en Europe.
Ce diagnostic cinglant s'inscrit dans une longue série de constats d'échec de la « guerre contre les drogues », non seulement en France mais partout dans le monde, qui ont récemment conduit l'Organisation des Nations Unies à des inflexions notables sur le sujet[2]
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Tandis que le Portugal, pour ne retenir que lui, a révolutionné son approche de la question en dépénalisant l'usage de toutes les drogues dès 2001, en France le débat politique reste très difficile, sinon impossible, malgré la multiplication des études scientifiques, rapports parlementaires, expérimentations et autres prises de position émanant de la société civile. C'était encore le cas durant le mandat présidentiel de François Hollande[3]
, ça l'est toujours pendant celui d'Emmanuel Macron. La seule perspective semble être de punir l'usage de stupéfiants d'une amende forfaire délictuelle[4]
: la pire des réformes pour nombre d'experts, à la fois inefficace sur le plan répressif, absurde en matière sanitaire et socialement injuste[5]
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Pendant ce temps, le procureur de la République de Grenoble s'alarme de voir cette ville « pourrie et gangrénée par le trafic de drogue » et constate lui-même que « toutes les politiques répressives ont échoué »[6]
. Pendant ce temps aussi, les scandales n'en finissent plus d'éclabousser l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), dont l'ancien chef et plusieurs officiers sont soupçonnés de s'être rendus complices d'importations de quantités très importantes de cannabis et de cocaïne sur fond de course aux « belles saisies ». Et lorsque des juges d'instruction spécialisés en matière de criminalité organisée, tirant au clair ce qui restait opportunément obscur, mettent en examen les intéressés, des dizaines de policiers décident de déposer leurs armes et de ne plus travailler avec eux, dans le silence assourdissant de la garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur...
Voilà donc où en est notre pays concernant les drogues : à la croisée des chemins.
C'est pourquoi nous avons voulu rouvrir le dossier. Il faut dire que les problèmes posés par les drogues touchent au cœur de notre projet éditorial : en interrogeant le fonctionnement de notre société, ils questionnent ses outils de régulation que sont le droit et la justice. Interdire ou ne pas interdire ? Punir ou soigner ? Comment juger ? Ces questions sont complexes et il peut sembler commode de les laisser aux spécialistes (chacun dans sa spécialité) ou de les abandonner à la morale individuelle. Mais précisément, la vocation de Délibérée est aussi de permettre que les spécialistes ne s'adressent pas qu'à eux-mêmes et que des non-spécialistes se nourrissent de leurs travaux et analyses dans une perspective indissociablement critique et politique.
C'est ainsi, qui sait, que les lignes finiront enfin par bouger.